Notre corps change au gré de nos expériences et tout au long de notre histoire. Qu’ils soient subis ou volontaires, ces changements peuvent s’associer à une évolution identitaire, et engager un réajustement des équilibres entre l’individu et son entourage. L'objectif de ces journées d’étude transdisciplinaires est de faire dialoguer les chercheurs — débutants et confirmés — avec les acteurs de terrain. Les conférences, tables rondes et ateliers sont proposés comme des espaces d’échange à travers lesquels se constituera une « réflexion participante » à caractère expérimental.

dimanche 17 mai 2015

Appel à contributions



Colloque International
Corps meurtris, beaux et subversifs :
 Réflexions transdisciplinaires sur les modifications corporelles.
 
Université de Strasbourg, 28 - 30 avril 2016


Tout au long de ces dernières années nous avons vu s’imposer dans les sciences humaines et sociales un paradigme compréhensif dans les études sur le corps. Ainsi, dans l'attention des chercheurs, l'analyse des stratégies communicatives -et la symbolique- intrinsèques à l'acte de modifier le corps, prend de plus en plus d'importance. Dans Anthropologie du corps et modernité, David Le Breton nous illustre la notion, typiquement moderne, d’un corps « double, alter ego » (2011, 228). Le corps se configurerait ainsi symbole de l’altérité, de l’autre (en) nous-mêmes. Soutenant une épistémologie positive autour des modifications corporelles, nous proposons de les envisager comme un effort subjectif d’apaiser cette distance, ou bien ce « détachement ». Par le travail corporel, le corps semble de fait assumer le rôle de « partenaire à concilier pour mieux être soi » (ibidem, 229).
Ajusté, corrigé, réparé, embelli ou bien utilisé comme instrument performatif, le corps modifié répond toujours à une volonté subjective de remaniement. Cette démarche peut répondre à des objectifs hétérogènes, par exemple en intégrant ou en défiant les conventions socio-culturelles. Néanmoins, ces processus de modifications corporelles apparaissent bien souvent comme une idéalisation de l’exigence d’imprimer dans la chair le sens d’une quête identitaire personnelle et/ou l’exigence d’assimiler une identification collective. Le concept d’un « corps-relieur » (ibidem, 53) évoque aussi bien l’idée d’un corps médiateur entre l’extériorité et l’intériorité du sujet (entre l’apparence et l’image de soi) qu’entre l’individu et la ou les société(s) ou entre l’individu et les cultures de référence.
Lorsque je modifie sciemment mon corps, ou que celui-ci se modifie contre ma volonté, par quels processus dois-je passer afin de conserver ou rétablir un équilibre identitaire ? Comment vivre avec un corps qui affiche une « différence » avec l’image que nous avons de nous-mêmes ? Dans l’analyse des pratiques de modification corporelle, pouvons-nous toujours établir une approche dichotomique, comme l’est celle de modifications « normatives » ou « anti-normatives » ? Que ce soit au sein du milieu artistique performatif ou bien dans celui médical, nous sommes confrontés à des corps modifiés qui défient la capacité de classement en catégories de genre, d’espèce, ou d’âge, entre autres. Quelles réflexions pouvons-nous poser face à ces corps modifiés qui restent « hybrides » ? Au contraire, comment interroger les modifications corporelles qui visent à sortir d’une certaine « hybridité » pour rejoindre une apparence connotée plus favorablement ? Comment s’accommoder du regard et du jugement des autres et de la société lorsqu’on vit dans un corps qui interpelle ? Quelles articulations théoriques possibles entre les modifications corporelles qui renforcent des « passages » au sein de sa propre culture/groupe de référence (Arnold Van Gennep, Les rites de passage) avec celles qui sont vécues comme des marques de changement valorisées plus intimement ?
Nous proposons aux contributeurs de réfléchir aux problématiques liées aux corps modifiés et donc aux enjeux techniques, physiques, psychologiques, politiques, juridiques, philosophiques et socio- anthropologiques qui se présentent à cet égard. Nous ne posons aucune contrainte en relation aux contextes culturels et aux circonstances dans lesquelles ces corps sont modifiés (accident, reconstruction, embellissement, performance, jeu, sport, travail, etc.). Nous invitons les auteurs à présenter une communication qui fasse référence à des observations de terrain, et nous encourageons par ailleurs la capacité à inclure dans leur réflexion des références d’autres disciplines curriculaires (démarche de transdisciplinarité). Toute proposition répondant à des thèmes connexes pertinents sera également prise en considération, sous réserve du comité d’organisation.

Thématiques et Axes de recherche


1. Les modifications corporelles à visée esthétique

Qu’il s’agisse de modifications « superficielles » (coiffure, usage de cosmétiques, soins dermatologiques, dentaires ou oculaires, etc.) ou bien de modifications plus « invasives » (chirurgie esthétique, tatouages, bod-mods) la démarche de valorisation de l’apparence possède une véritable complexité herméneutique. Au-delà du désir d’améliorer l’apparence esthétique, les interventions d’embellissement sont souvent entendues comme une (re) mise en harmonie de sa présence corporelle avec l’image que l’on a de soi-même.
La recherche d’apaisement psychique par le recours à des interventions esthétiques reste cependant un sujet polémique et controversé. Comment interroger de façon croisée et transdisciplinaire les relations entre corps et esprit, dans le domaine de l’esthétique ? Comment réfléchir à une science esthétique qui se veut de plus en plus thérapeutique ? Quelles ouvertures nous pose la perspective d’une hybridation entre les pratiques médicales avec celles de soin esthétique ?
Dans une époque de « démocratisation de la beauté » l’accès aux pratiques de beauté, même chirurgicales, devient de plus en plus facile. Cela semble se coupler aussi bien à une subjectivation qu’à une multiplication des modèles esthétiques de référence. Ainsi, le paradigme sociologique d’une « tyrannie de la beauté » est-il encore valable ?
Notre apparence corporelle dévoile et incarne des signes dont la reconnaissance implique un procédé d’identification avec nos groupes sociaux de référence. Qu'il s'agisse d'une volonté de conformer son apparence à un modèle valorisé socialement et/ou bien d'une démarche de subversion ou transgression des codes esthétiques socialement valorisés, la mise en beauté du corps implique des répercussions sociales que l'on ne peut pas ignorer. Par ailleurs, considérant le caractère irrévocable ou choquant de certaines pratiques d’intervention esthétique, peut-on les lires comme des conduites à risques ?
Les modifications esthétiques impliquent par ailleurs une relation médecin-usager particulière. Quelle importance revêt l’accompagnement des médecins/opérateurs de la beauté dans la construction ou dans la restauration de soi ? Face à la réalité d’un usager de l’esthétique de plus en plus autonome, quelles limites posent les cultures, les législations, les injonctions morales à ce propos ? Ou bien, quels espaces et temps sont laissés à la créativité esthétique ? L’intérêt de cet axe porte aussi sur les techniques d’embellissement transmises, partagées et diffusées ainsi qu’aux innovations produites et expérimentées dans un contexte global et par des réseaux familiaux et/ou institutionnels.
Nous proposons enfin d’interroger les frontières du « beau » par une analyse des notions d’esthétique « normative / anti-normative ». Que ce soit une réflexion autour des concepts d’apparence (« souhaitable », « appropriée », « élégante », « décente », « belle », « sexy » ou bien « laide », « vulgaire », « indécente », « monstrueuse », etc.) ou bien par des descriptifs d’observations de terrain, nous incitons les répondants à nous présenter des analyses autour des pratiques et des représentations concernant le domaine des soins esthétiques.

2. Reconstruire son corps après l’accident : Corps mutilé/handicapé, technologies de la santé et hybridités identitaires

L’expérience de l’accident, de la maladie ou du handicap change radicalement le rapport qu’ont les individus à leur corps et aux corps. Suite à un changement brutal et involontaire de ses capacités, de ses limites ou même de sa constitution, le corps devient comme étranger à lui-même, un « autre » indésirable et source d’une certaine souffrance tant physique qu’identitaire. Il faut pourtant se reconstruire, se réadapter, apprivoiser ce nouveau corps et en faire à nouveau son corps. Comment composer alors avec ce corps différent ? Quels processus, quelles stratégies les individus adoptent- ils pour réinvestir cette nouvelle vie, se forger une nouvelle forme de mobilité, une nouvelle identité corporelle, une nouvelle place dans cette société à la fois normalisée et exigeante ? La marginalité du corps handicapé ou mutilé cristallise par ailleurs un certain nombre d’imaginaires anciens ou contemporains (pouvant aller du monstre au cyborg), que notre groupe de travail aura à cœur d’analyser et de mettre en perspective avec l’expérience subjective des individus qui sont parfois touchés de façon collatérale par ces conceptions fantasmagoriques. Quelle image du handicap dans notre société ? Quels préjugés, quels fantasmes ? Quelles conséquences sur la vie quotidienne, sur les interactions sociales, sur la prise en charge, ou sur les politiques publiques ?
Cet axe mettra en avant les réflexions liées au corps handicapé, au corps mutilé ou difforme, au corps « anormal », au corps rééduqué. Il s’agira de questionner les processus identitaires de réadaptation, les expériences subjectives, les stratégies individuelles de réinvestissement corporel, mais aussi les problématiques de discriminations subies ou vécues, de limitations dans l’espace quotidien et collectif ou dans l’interaction sociale. Plus encore, nous interrogerons les limites des concepts de classification dualistes : validité / invalidité, normal / pathologique, handicap / augmentation, rejet / acceptation, intégration / exclusion, etc.

3. Les modifications à visées ludiques : la réappropriation des technosciences pour la mise en scène de la métamorphose physique et identitaire

Les sociétés occidentales contemporaines ont vu émerger un modèle de « corps rationnel », qui s’est notamment développé avec la réappropriation de matériaux artificiels d’abord utilisés dans le cadre de la biomédecine et des technosciences. De nouvelles pratiques apparaissent alors progressivement, mettant en avant certaines modifications physiques inscrites dans une perspective ludique et exploratoire, dont l’ambition est l’augmentation des possibilités corporelles.
Celles-ci sont effectuées dans une démarche volontaire et expérimentale ; ces modifications permettent à leurs praticiens de développer une « corporalité » inédite par l’apport de nouvelles fonctionnalités liées à l’utilisation et l’expérimentation de techniques et pratiques originales. Ces nouvelles formes de modifications modèlent une vision futuriste du corps technologiquement transformé, une vision qui est déjà au cœur des productions culturelles contemporaines cyberpunk. C’est dans cette perspective que notre groupe de travail discutera de l’émergence de pratiques qui s’inscrivent dans la démarche do-it-yourself en traitant des modifications corporelles extrêmes (qui peuvent commencer avec les tatouages et piercings et s’étendre à des changements plus radicaux dans la performance artistique et certains mouvements culturels) avec un but fonctionnel ou ludique.
Ce groupe de travail cherche des contributions qui étudient la façon dont les techniques modernes sont (ou peuvent être) utilisées pour transformer la «nature originelle» d’un corps en « l’augmentant » par l’ajout d’artefacts fonctionnels, non plus pour compenser une défaillance physique, mais pour offrir des fonctions supplémentaires. Nous nous intéressons donc aux implants et prothèses « ludiques » trouvés notamment dans les milieux artistiques et technophiles (par exemple, l’implant de puces électroniques ; d'aimants ; d'implants sous-cutanés simples ou 3D, vibrants ou LED ou d'implants transdermiques, entre autres). En mettant l’accent sur l’émergence de nouvelles formes de modifications physiologiques liant l’organisme à des composants prothétiques, notre groupe de travail cherchera à analyser de façon critique ce phénomène et ses enjeux, notamment dans le cadre de la (re) définition de la corporalité. Enfin, de manière transversale, d’autres pistes sur la problématique des tensions entre les corps et les techniques sont possibles et nous ne souhaitons pas limiter ici les propositions éventuelles qui pourraient nous être faites.

4. Le corps objet de la pensée artistique. Modalités et formes d’usages à des fins sociologiques et politiques

Le corps, constamment sujet de prédilection de l’art, est envisagé en tant que principal objet de présentations et de représentations. La relation de l’artiste avec son œuvre et son corps évolue en fonction des transformations sociétales et technologiques. Le corps s’adapte à ces transformations et son usage évolue. Le corps peut être traité non seulement en formes géométriques simples, mais comme un objet complexe parlant par son anatomie, ses organes, sa chair et sa peau.
Cet axe s’intéresse au corps, comme objet principal de la pensée artistique, et aux œuvres d’arts et ses reproches extra-disciplinaires (anthropologiques, sociologiques et politiques). Dans cet axe, nous voulons mettre en avant les formes d’usage du corps dans des pratiques artistiques contemporaines (comme la photographie, la danse, le théâtre, le happening, la performance) autour des modalités de présentations et de représentations du corps. Nous nous intéressons en particulier aux pratiques artistiques qui tirent parti des questions liées aux notions de gestes, de mises en action, de mouvements, de prises de position, de manipulations, d’expressions de soi, de rituels, des codes sociaux...
Le principal objectif est de voir comment les artistes contemporains se sont appropriés le corps et tout ce qu’il véhicule comme signes pour faire œuvre. Ainsi, il s’agit de connaître et de comprendre les différentes collaborations possibles entre le domaine artistique et le domaine sociologique vis-à-vis des transformations faites du corps dans les différentes catégories d’œuvres d’art des artistes d’aujourd’hui.

Organisation du colloque et modalités de soumission

Pendant les matinées nous assisterons à des cycles de conférences ouvertes au public. Après une pause déjeuner, nous vous inviterons à suivre des tables rondes entre chercheurs et acteurs de terrain et des ateliers pratiques où vous pouvez expérimenter une « réflexion participante » par le biais d’activités proposées par des « modificateurs » corporels. Lors des soirées, les contributeurs seront invités à se rendre aux performances proposées par le collectif INACT, partenaire de l’événement.

Modalités de soumission

Nous attendons des propositions sous trois formats distincts :
  1. Une communication scientifique pour les sessions de conférences. Tous les axes de recherche seront abordés.   
  2. Une participation aux tables rondes. Les participants seront des acteurs de terrain (« modificateurs » et « modifiés ») et des doctorants/chercheurs. Ce sera l’occasion de confronter la théorie avec la pratique, les expériences et récits de terrain seront au cœur des débats.
  3. La création d’un atelier immersif/artistique. Il s’agit de nous proposer la réalisation d’un atelier mettant en situation une expérimentation d’interventions corporelles ou d’appareillages qui modifient (augmentent/déforment/changent) les perceptions, les capacités ou l’apparence corporelle. Par exemple, des ateliers qui permettent de saisir la volubilité corporelle des notions de genre, appartenance ethnique, sociale ou « humaine » sont les bienvenus. La durée de l’atelier se développera dans un espace de 15-20 minutes, les places sont limitées à 15 personnes par atelier.

Le collectif INACT fournira par ailleurs son propre appel à artistes, auquel vous pourrez répondre en proposant des performances qui auront lieu lors des journées d’étude.
Un résumé de la proposition de participation (entre 300 et 500 mots) doit être présenté sous format .DOC ou .PDF dont le titre contiendra le nom de l’auteur précédé du format de la proposi- tion (par exemple : « Communication-Dupond », « TableRonde-Dupond » ou encore « Atelier-Dupond »). Une même personne peut soumettre plusieurs propositions, de même format ou de formats différents. Le résumé doit être complété par une courte présentation de l’auteur.
Les propositions contenant de descriptifs visuels (photographies ou vidéos) doivent être postées sur le site suivant : https://www.wetransfer.com - en indiquant le nom de l’auteur et le titre du projet.
Toutes les propositions sont à envoyer avant le 31 juillet 2015 à l’adresse suivante: corps.modifies@misha.fr
La réponse du comité de sélection sera transmise aux auteurs avant le 1er septembre 2015. Le colloque se déroulera du 28 au 30 avril 2016, à l’Université de Strasbourg.

Comité d’organisation

David Le Breton
Professeur de sociologie
Université de Strasbourg-CNRS. 


Eva Carpigo
Doctorante en anthropologie
Université de Strasbourg-CNRS. 


Valentine Gourinat
Doctorante en éthique et en sciences de la vie
Université de Strasbourg-CNRS, Université de Lausanne. 


Najoua Kefi
Doctorante en sociologie et en théorie de l’art 
Université de Strasbourg- CNRS, Université de Tunis.

Bárbara Nascimento Duarte
Docteure en sciences sociales
Université de Strasbourg- CNRS, Université de Juiz de Fora.  
 
Adresse de contact : corps.modifies@misha.fr